J’attendais avec impatience le lynchage qui consisterait à me dire que je suis déloyal sur ce marché.

La concurrence déloyale en tant que digital nomad, c’est le sujet de cet article.

J’aurais dû attendre 3 ans et demi avant que le lynchage ne vienne. C’est arrivé aujourd’hui pour la première fois. Un ancien camarade de classe en quelque sorte. Enfin, on a suivi les mêmes cours, on a galéré sur les mêmes travaux, on a adoré les mêmes profs. Bref, un compatriote qui peut facilement imaginer ma situation.

Il m’a d’abord dit que si j’avais des difficultés à obtenir des prospects de qualité, c’est parce que je vis à l’étranger. Sauf que 8 prospects sur 10 découvrent ma situation au téléphone, lors du premier call, puisque les gens vous contactent généralement sans se renseigner sur vous. De toute façon, je ne me positionne pas sur l’offshore, ni sur le tarif, mais sur ma qualité de service.

Croyez-le ou non, j’estime à 1 prospect sur 20 le nombre de gens qui sont gênés par notre délocalisation, dès lors que nous sommes de culture occidentale, de langue française et que nous pouvons travailler à distance grâce à tous les outils offerts par la mondialisation et le numérique.

Ah non, ça ne me dérange pas. Et alors, on passerait par Skype c’est bien cela ?

Ensuite,

Un peu contradictoire avec l’argument précédent, mon confrère m’a dit que j’enlevais le pain de la bouche des Belges

Bon, je suis toujours belge, hein.

C’est amusant, car juste avant, on me disait qu’il était normal de ne pas vouloir faire affaire avec moi à cause de ma distance.

Savez-vous que des milliers d’informaticiens indiens travaillent pour des sociétés de télécom, dans la capitale !

C’est quoi ça ?

En tant que nomade digital, je suis un concurrent déloyal

D’accord. Je me confesse.

Bien que je sois complètement en règle d’un point de vue légal, ce n’est pas éthique du tout, car pour un même travail, un même montant facturé, je vais pouvoir me permettre de prendre une pizza aux fruits de mer au resto au lieu d’une margarita. Et puis, je vais pouvoir voyager et profiter un peu de la vie, ce qu’un jeune professionnel indépendant en Belgique ne pourra que rarement se permettre dans le secteur du Web.

C’est vrai. Je suis un monstre, je le réalise.

Que puis-je faire pour me faire pardonner ?

Sincèrement…

Ce que j’ai envie de conseiller naturellement aux personnes gênées par ma délocalisation est de jouer sur le local. Démarchez les gens autour de vous, dans votre région. Dans votre argumentaire commercial, offrez aussi un déplacement gratuit chez le prospect afin d’organiser une première rencontre sur place pour les encourager à signer avec vous.

Personnellement, lorsque je vivais toujours en Belgique, je le faisais. J’ai été à mon compte dans mon pays, de 2009 à 2014. Il n’était pas rare que je recueille les informations du prospect, ses attentes, son budget et que je fasse ~40 km avec ma petite Suzuki Alto pour rencontrer, pendant plusieurs heures, l’autre professionnel qui veut se lancer dans l’e-commerce, par exemple. C’est un cas vécu, mais bien sûr, j’en ai pleins en stock.

Discussion avec la dame :

C’était une dame, mais elles étaient 3 associées sur le projet.

“ Création d’une boutique e-commerce à 1500€ avec logo et design sur mesure, hébergement et accompagnement d’1 an… En étant taxé à 54% avec un statut d’indépendant en Belgique ? D’accord, l’idée de votre projet me séduit, j’ai un bon feeling avec vous et puis, de toute façon j’ai besoin de clients, je paye 700€ de cotisations tous les trimestres à l’état + 350€ de comptable. Je dois faire du chiffre sinon c’est la faillite. OK. Je vous propose de faire un gros effort en acceptant de vous accompagner dans ces conditions. Je vous envoie le devis dès ce soir. ”

Finalement, après 3 semaines de relances en étant laissé sans nouvelles, filtré par téléphone… on apprend que le petit concurrent d’à côté a proposé la réalisation d’un site, 200€ moins cher. Il a logiquement remporté le contrat.

Un tarif ridicule pour l’expertise et le temps mis à disposition.

Lors de nos hautes études, on ne nous apprend pas « quel prix facturer ». C’est un véritable manque pour toute la profession locale. Je le réprouve, même si la formation technique est excellente et au-dessus de tout. La profession n’étant pas protégée, il serait au moins nécessaire de conscientiser un minimum les jeunes qui sortent de l’école.

Voilà donc la situation que beaucoup vivent en Belgique, mais également en France. Il suffit de voir mes coups de gueule les plus commentés et débattus sur Mister WordPress :

Ce que j’ai particulièrement trouvé sympa aussi en Belgique,

c’est le courrier postal des impôts sous forme de lettre écrite en NOIR majuscules très foncé sur blanc éblouissant.

Lettre qui vous menace d’entrée de jeux de vous poursuivre si vous veniez à avoir le moindre retard de paiement pour vos impôts exorbitants. La facture oscillant pour moi entre 10.000 et 15.000€/an (en ayant optimisé fiscalement un max avec des frais de comptables, tout ça tout ça).

Demandé si gentiment, tu la payes le jour même cette énorme prune ! Et ne comptez pas sur un petit message de confirmation de la part de l’administration pour vous notifier que l’argent a bien été reçu.

En tant que digital nomad immoral, que puis-je faire de plus pour le métier et demander d’absoudre mes nombreux pêchés ?

Par exemple, je pourrais communiquer avec les prestataires Web en les conscientisant sur le fait qu’ils ne doivent pas monnayer des compétences durement acquises au prix du charbon.

Eh ben c’est exactement ce que je fais au travers de billets d’humeur tels que cités plus haut ; d’une grosse initiative future à destination des professionnels du numérique ; et via de nombreux sondages que je propose sur Twitter.

https://twitter.com/MisterWordpress/status/902449142500212737

J’essaye de faire avancer le truc et je laisse les gens s’exprimer. Mais, puis-je à la fois être avantagé par ma situation et être la voix des prestataires Web qui éprouvent des difficultés ?

Sachez que je ne casse pas les prix. Ou en tout cas, je vois des agences qui ont des locaux en ville faire des offres encore plus prostituées que moi. J’ai vu passer un truc récemment, pour la réalisation d’un film professionnel par une agence digitale, tournage sur place, montage, livraison et intégration Web : 500€, sur Bruxelles !

Et puis quoi encore ? Site vitrine : 2€ ?

Donc, je ne pense pas être LE problème de notre secteur.

Au pire, j’agace un peu, on est jaloux et on m’unfollow. Ou mieux, on me bannit sur tous les réseaux sociaux pour être sûr. Fin des démangeaisons.

Bon, qu’est-ce que tu fais quand tu es dans cette situation en Europe ?

Pourquoi et comment devenir digital nomade ?

Je parle pour moi.

Tu n’as pas de famille. Pas d’attache. Personne à voir dans ton pays, le dimanche et les jours de fête… Mais tu as l’opportunité de jouir d’une capacité à travailler à distance tout en profitant d’un coût de la vie plus favorable. Voir chaque jour des gens qui sourient tout le temps.

Les reportages télévisés sur les familles qui s’installent à l’étranger pour tenter leur chance se multiplient… Du coup, tu vas visiter un peu en prenant tes 3 semaines de congés annuels en basse saison (prix du billet d’avion à prix cassé).

C’est tentant tout ça…

Qu’est-ce que tu fais ? Tu restes chez toi, tu risques la faillite, le burnout ? Tu as toutes les chances de devoir faire une croix sur tes rêves d’entrepreneuriat et finir par aller bosser en tant que livreur alors que tu as enchaîné 5 ans d’études spécialisées pour concrétiser ta passion et officialiser tes compétences ?

Ben non… même si ça déplait à certains, tu te casses. Tu crées ta boite à l’étranger pour sortir de l’esclavagisme occidental ; l’esclavagisme moderne. Le progrès quoi.

Ce ne sont pas mes copains, mais même les politiques au pouvoir vous le disent : entreprenez, délocalisez-vous, usez de vos compétences à l’étranger là où c’est favorable pour vous… (pas sûr que j’assume cette citation à laquelle je n’adhère pas dans le fond : chacun devrait être libre de rester dans son pays dans de bonnes conditions)

Et puis, si cela démange certains, je leur demande pourquoi ne font-ils pas pareil que moi ? On ne veut pas quitter sa famille ? On ne veut pas faire une croix sur sa couverture santé ou l’hypothétique misérable pension auquel on devrait avoir droit dans 45 ans ? On ne sait pas par où commencer ? C’est trop compliqué ? Les risques d’échec sont trop importants ?

Je confirme. Il y a des sacrifices à faire pour pouvoir s’expatrier et entreprendre à l’étranger.

Pour les rageux,

C’est plus confortable de s’insérer dans une conversation sur Twitter et cracher son venin sachant que tous les autres rageux jaloux seront de notre côté ?

Bah, oui, c’est facile ça…

Faites vos choix. Soyez adultes. Et foutez la paix à ceux qui ne font pas la même chose que vous ou qui pensent différemment de vous. On ne vous a pas demandé votre avis.

Peace